J’ai évolué dans un environnement où la question de l’allaitement était absente. Dans ma famille, les femmes n’ont pas allaité, les bébés ont été nourris aux biberons. Pendant longtemps, je ne savais pas qu’on pouvait faire autrement. Lors de ma première grossesse, c’est donc logiquement que j’ai décrété que je n’allaiterai pas. Cela me semblait trop compliqué, trop stressant. Je pensais n’avoir ni les capacités ni les clés. L’allaitement était un défi que je ne voulais pas relever. Et puis j’ai changé d’avis, de façon radicale. J’ai choisi d’allaiter, dans mon coeur et dans mon corps. Ou peut être que justement non, c’est l’inverse. C’est l’allaitement qui m’a choisie.
J’ai allaité mon aînée pour lui donner ce que j’estimais être le meilleur pour elle, sans aucune information si ce n’est ma conviction profonde. Je l’ai allaitée pour lui dire « Je t’aime, je te veux, tu as ta place ici avec moi, je te promets tu ne seras plus jamais seule », pour effacer la distance que les neuf mois de grossesse avaient mis entre nous, pour réparer ce lien que je n’avais pas réussi à construire lorsqu’elle était dans mon ventre. Je l’ai allaitée parce que personne ne s’y attendait, moi la première. Je l’ai allaitée parce que c’était compliquée. Je l’ai allaitée parce qu’au fond de moi j’ai toujours aimé les défis et prouver que l’impossible est possible. J’ai allaité pour apaiser ma culpabilité de reprendre le travail si tôt et de la laisser si longtemps, séparées par des océans. J’ai allaité pour pouvoir la laisser, pour mieux la retrouver. J’ai allaité en pleurant, en riant, en pestant, droit dans les yeux avec mon bébé, en regardant mon portable, au sein d’un groupe, dans un parc, à la maison. J’avais dit 3, puis 6 mois puis ensuite j’ai arrêté de donner une échéance et j’en ai été la première surprise. J’ai tiré mon lait comme une dératée pour faire du stock, dans un couloir, dans des toilettes, en stage, dans des grands hotels à l’autre bout du monde. J’ai allaité parce qu’on m’a dit « Tu es hôtesse de l’air, tu n’y arriveras pas ». J’ai essuyé des réflexions, j’en ai pris certaines à coeur et j’en balayé la plupart. J’ai allaité pour elle, pour moi, pour nous. L’allaitement a été ma bataille. Il m’a permis de trouver ma place de mère, d’avoir confiance en mon corps et en mes capacités et de célébrer la femme que j’étais devenue.
J’ai décidé d’allaiter ma seconde sans me poser de questions, juste en gardant à l’esprit que chaque expérience est unique et que je reste ouverte à tout. Je l’allaite pour la nourrir, pour me nourrir aussi d’une autre manière et je l’assume pleinement. Je l’allaite parce que c’est important pour moi, parce que c’est ce que j’ai envie de lui transmettre. Je l’allaite parce que mon corps sait faire et qu’il est fait pour ça. Je l’allaite parce que c’est pratique, économique, écologique. Je l’allaite pour lui dire je t’aime, même si elle le sait déjà. Je le vois dans ses yeux qui cherchent les miens, dans sa main posée contre mon sein et qui caresse ma peau. Je le vois dans sa façon de téter, tout en douceur et dans l’apaisement. Je l’allaite comme un prolongement de cette connexion que nous avons tissée pendant neuf mois. Je l’allaite parce que quand je le fais, je me sens bien, à ma place. Je voudrais graver pour toujours ces moments. Je l’allaite pour être présente, avec elle, rien qu’avec elle, autant que possible. Je l’allaite parce que j’aime ça, profondément.
J’allaite pour écrire une histoire qui convienne à notre famille, à moi, à mes filles. Pour ouvrir le champ des possibles, pour montrer sans forcer, pour informer sans influencer. Parce que l’allaitement fait partie de la façon dont je souhaite être mère, tout simplement.