Cela faisait quelques temps que je souhaitais partager un peu de mon expérience de grossesse ici. Et puis la semaine dernière au détour d’une discussion, j’ai entendu cette phrase « Mais tu ne peux pas dire ça quand même » qui m’a fait réagir et qui m’a confortée dans cette envie. Ma fille a plus de trois ans aujourd’hui et lorsque je repense aux neuf mois qui ont précédé notre rencontre, mon ressenti n’a pas changé. Le souvenir s’est évidemment et heureusement adouci, parce que j’ai fait un travail sur moi-même nécessaire. Mais la réalité reste la même : j’ai détesté être enceinte. Et j’ai tous les droits de le dire…
La santé
« La grossesse, ce n’est pas une maladie ». J’ai été malade tous les jours pendant quatre mois et j’ai eu des nausées pendant la quasi-totalité de ma grossesse. Alors, que la grossesse ne soit pas une maladie, je suis assez d’accord en théorie mais mon expérience y a quand même beaucoup ressemblé. Je me suis sentie diminuée.
Le rapport au corps
Je savais que voir mon corps se transformer serait un défi important, moi qui avais été si longtemps dans le contrôle, moi qui avais toujours considéré mon corps comme une entité séparée de ce que j’étais, comme l’ennemi à faire plier. Forcément en étant malade, la prise de poids a été limitée mais je considérais chaque kilo pris comme une angoisse. J’ai surveillé ce que j’ai mangé. J’avais peur de ne jamais retrouver mon corps d’avant.
La responsabilité totale
Ce bébé que fabriquait mon corps, comment pouvais-je être certaine qu’il serait en bonne santé ? Si quelque chose allait mal, c’était forcément parce que mon corps était défaillant. Chaque échographie a été passée avec appréhension et avec une longue liste de questions. Chaque cauchemar a été en rapport avec la santé de ce bébé dont je me sentais seule responsable.
Le deuil de la vie d’avant
Enceinte, j’ai dû arrêter d’exercer un métier que j’aimais passionnément. J’ai pris conscience que même si je le souhaitais, rien ne serait plus comme avant. Que nous passerions de deux à trois, que je passerai du statut de femme à celui de mère, avec les contraintes et les obligations qui y étaient liées. J’avais peur de perdre mon identité dans la maternité. Je n’y voyais que renoncements.
Le détachement
Surtout ne pas s’impliquer, ne pas se projeter trop tôt. Parce que si la grossesse s’arrête, si ce bébé est malade ou meurt, alors il faut que je me et nous protège, il faut que je limite la casse. Qu’est ce qui va se passer si je m’attache ? Vais-je être capable de l’aimer ? J’ai mis sept mois à m’autoriser à faire le premier achat, une boite à musique en forme de carrousel, par peur, par superstition. Rien n’a été léger…
L’absence de bienveillance
« Toutes les femmes ont des nausées et n’en font pas tout un plat ». J’étais fragile, à fleurs de peau, je me suis souvent sentie jugée et niée dans ce que je vivais alors que ce dont j’aurais eu besoin, c’était surtout qu’on m’écoute et qu’on accueille ce que je ressentais.
Le tabou
On y vient… Une femme n’a pas le droit de dire qu’elle n’aime pas être enceinte. Etre enceinte, fabriquer un bébé, c’est censé être la plus belle chose au monde. « Tu imagines les personnes qui sont en parcours de procréation médicalement assistée ? » « Le plus important, c’est ton bébé, pas tes états d’âme ». J’aurais pu me taire, j’aurais pu faire semblant et garder tout ça pour moi mais je n’ai pas su faire. Bien sûr, j’ai culpabilisé mais l’intensité de ce que je ressentais devait être exprimée, même et surtout parce que ça dérangeait. Et aussi parce que soyons honnête, c’était très lourd à porter.
Cet article n’est évidemment pas écrit pour faire peur aux futures femmes enceintes. La grossesse est un moment sacré dans la vie d’une femme car elle transforme notre identité, qu’on le souhaite ou non. Je suis heureuse que pour certaines femmes, cette période soit synonyme de bonheur et de bien-être. Cela dit, tous les moments importants ne se présentent pas forcément avec des paillettes et des arcs en ciel. Parfois, ce sont aussi ceux qui nous bousculent le plus. Et ils ont le droit d’être partagés, comme tels.
Cet article, je l’ai écrit, en pensant à ces femmes qui ont eu une expérience similaire à la mienne, celles qui se sont tues, qui ont eu honte, qui se sont senties coupables, mauvaises mères, celles qui ont plié devant les regards gênés de leurs familles et de leurs amis, celles qui ont tout gardé pour elles pendant des mois, voire des années, celles qui ont pensé à tort qu’elles n’étaient pas normales, qu’elles n’auraient pas du devenir mère, que peut-être elles avaient commis une grave erreur. Je l’ai écrit parce que même trois ans après, si certaines remarques ne me blessent plus, j’estime qu’elles n’ont pas lieu d’être.
Je l’ai écrit pour vous dire que vous n’êtes pas toutes seules et que vous n’avez pas à l’être. Chaque grossesse est unique et votre expérience, quelle qu’elle soit, mérite d’être entendue et respectée.
Bonjour,
Je vous ai laissé un petit commentaire sur Facebook…
Je suis ravie d’avoir lu votre article que je partage presque à 100%. Ma fille aussi à un peu plus de 3 ans (mai 2013) et comme vous, je n’ai pas bien vécu ma grossesse. J’ai été très malade, ensuite, les médecins ont commencé à s’inquiéter également pour le bébé qui ne grandissait pas beaucoup, enfin, à chaque visite médicale on ressortait avec un souci en moins mais un souci en plus aussi. J’ai du passer 5 mois sur le canapé, interdiction de bouger beaucoup, même pas le droit de prendre la voiture et un long etcétera. J’enviais les femmes enceintes qui pouvaient se balader, fières de leur bidon, toutes belles dans leurs vêtements de grossesse (que je n’ai même pas eu besoin d’acheter) et je me suis sentie très seule (ma famille étant loin). Bcp de femmes disent aussi que le dernier mois est le plus long, le plus fatigant, pour moi a été le mois le plus chouette car j’ai eu le droit de « reprendre une vie normale puisque pas de risque si bébé nait ». Enfin, j’ai eu un accouchement super (même si déclenchement parce que, finalement -ironie de la grossesse, encore- petit bébé ne voulait pas sortir alors qu’on m’avait tellement parlé d’accouchement prématuré) et tout s’est très bien passé. On m’a dit que j’étais très sereine, tout comme à la première visite avec le pédiatre et que notre sérénité se ressentait aussi sur le bébé, ce à quoi j’ai répondu : « accoucher a été pour moi une vraie libération, tout ne peut que bien marcher maintenant », je crois que j’avais l’impression d’avoir repris le contrôle sur la situation 🙂
Sauf le point sur le rapport avec le corps, je crois que pour le reste, j’ai vécu la même chose.
Alors oui, la grossesse peut être une maladie !
Merci pour cet article !
Très bon week-end,
Bonjour Margarida, (on se dit « tu », si tu le veux bien ? 🙂
Merci beaucoup pour ton commentaire et d’avoir partagé un peu de ton expérience de grossesse avec moi.
Ma fille est née en mars 2013, j’ai eu besoin de beaucoup de temps pour pouvoir revenir sur cette période. Mais c’était nécessaire pour moi de le faire, et notamment dans le cadre de ma formation de doula. Ce qui m’a beaucoup marquée pendant ma grossesse, c’était le décalage entre ce que je vivais/ressentais et ce que « j’aurais du ». Il y avait effectivement un fossé et une grande solitude. J’ai failli être déclenchée aussi, après une menace d’accouchement prématuré et comme toi, l’après naissance m’a paru une période plus légère et simple que les neuf mois précédents 🙂
C’est primordial pour moi que chaque femme puisse être entendue dans ce qu’elle a vécu.
Passe un très bon week end !