
Un petit peu plus de deux mois qu’elle est née, que j’ai accompagné sa naissance et celles de ses parents, que j’ai assisté en tant que témoin à ce rite initiatique, dans tout ce qu’il a de plus sombre et de plus lumineux, l’un n’allant pas sans l’autre, parce que les heures les plus sombres précédent toujours la naissance du jour.
Je les ai aimés dès que je les ai rencontrés, tout de suite ils ont été mon coup de coeur. J’avais à peine passé cinq minutes avec eux que je les avais déjà choisis. Il y avait ce qu’ils dégageaient chacun de leur coté et ensemble, ce respect pour eux même et pour les autres, cette humanité si belle, si vraie, cet amour qu’ils partageaient et dont je n’aurai de cesse d’être la témoin silencieuse et complice. Il y avait ses yeux à elle à la couleur magnifique et si indescriptible qui plongeaient dans les miens, ces regards échangés et jamais détournés qui semblaient vouloir dire « te voilà, je t’attendais, viens, je sais que tu es là pour m’accompagner sur le chemin qui est le mien ». Il y avait son implication à lui, sans failles et à toute épreuve, ses partages, ses réflexions, ce cheminement de futur père si précieux à mes yeux, sa force et sa fragilité qui m’ont touchée en plein coeur.
Il y a ce qu’on a tissé durant ces mois, ces soirées d’été à échanger sur leur projet de naissance, à questionner certaines pratiques, ces moments charnières où il se sont positionnés en tant que parents, même si cela allait parfois à l’encontre de ce qu’on attendait d’eux. Il y a eu leur salon qui a accueilli rires et larmes, questions et ébauches de réponses et une spéciale dédicace à Micheline. De ces rencontres avec eux, je retiendrai l’intensité de nos échanges et je garderai à jamais dans mon coeur cette sensation de gratitude et ce sentiment d’être à ma place, à leurs côtés.
Lorsqu’il m’a appelée en ce matin de fin octobre m’annonçant que les choses se mettaient en place doucement à quelques jours du terme, je me suis dit intérieurement que je reconnaissais bien là le bébé scorpion. Et pourtant, je ne savais pas, je ne savais rien du tout.
J’avais soupçonné sa force mais je n’avais pas idée de sa puissance de Femme face à l’intensité et à la durée des contractions, de ce chemin si sinueux si initiatique qui l’amènerait à la rencontre de son bébé, des barrières qu’elle devrait enjamber, voire escalader et des verrous qu’elle serait amenée à faire sauter.
J’avais imaginé qu’il était son roc, son repère dans la tempête, sa bouée de sauvetage pendant ce tsunami et j’avais eu raison. Je n’avais seulement pas pensé qu’une fois la contraction passée, même s’il ne l’avait pas ressentie physiquement, c’était pourtant dans ses yeux embués à lui que je la verrai encore osciller, sans jamais vraiment redescendre et cela jusqu’à la naissance de sa fille.
Je ne pensais pas rester dans cette antichambre alors que ce n’était pas leur souhait, que durant cette nuit silencieuse, c’était elle que j’entendais crier et souffrir, alors même que je n’étais pas autorisée à leur offrir ma présence physique mais que mon coeur lui battait à l’unisson des leurs, à travers ces quelques mètres qui nous séparaient et que tout mon corps avait envie de les rejoindre.
Je n’avais pas imaginé ses larmes et les miennes lorsqu’il m’a annoncé la naissance de sa fille après un si long et douloureux travail. Ce shoot de bonheur à l’état pur quand je les ai vus réunis tous les trois.
Je ne savais pas qu’il suffirait d’une fraction de seconde, d’un son si particulier et pourtant gravé chez moi à jamais pour que reviennent des souvenirs que je pensais archivés. Mais certains évènements de nos vies ne le sont vraiment jamais, peu importe à quel point on a la sensation de les avoir accueillis. Parce que le rite initiatique de l’accouchement est certes unique à chaque femme mais celles qui l’ont traversé se reconnaissent instantanément.
Je pensais pouvoir absorber ces émotions si fortes, si contrastées, ce mélange savant entre souffrance et impuissance, bonheur et joie suprêmes. J’avais cru pouvoir dompter mon empathie, bénéficier uniquement de ses atouts et taire tout le reste. Je pensais pouvoir être le témoin de ce passage sacré qu’est la naissance sans que cela me mette à terre. Il n’en a rien été. J’ai fini à genoux.
On pourrait penser que les parents qui font appel à une doula sont en quête de réponses. Dans le cas de cet accompagnement, c’est moi qui avais tant à apprendre, et c’est ce que j’ai fait, grâce à eux trois.
